L’intelligence des plantes, un concept naissant chez l’humain
Pour paraphraser Frans de Waal, qui a écrit « Sommes-nous trop ‘’bêtes’’ pour comprendre l’intelligence des animaux », la question se pose aussi pour l’intelligence du monde végétal. Sommes-nous trop « courge » pour comprendre l’intelligence des plantes ?
Par chance, depuis les années 70, c’est-à-dire tout à fait récemment dans l’histoire de la science, quelques scientifiques pionniers s’intéressent de près à l’intelligence des végétaux.
Et ils découvrent des choses absolument passionnantes. Et plus ils en découvrent, plus ils sont soit rejoints par certains confrères ouverts, soit conspués par d’autres, comme cela fut le cas, exactement de la même manière, dans l’histoire de l’éthologie et de l’étude de la cognition animale.
Récemment, ces découvertes ont émergé au grand jour
La preuve que le sujet est pris au sérieux
Même si c’est d’une manière qui peut choquer : le ministère de l’agriculture se met à paniquer devant l’élan d’empathie du public pour la sensibilité végétale, et fait appel à des cabinets de conseil en stratégie et communication par peur qu’il y ait des mouvements de type végans des plantes, qui s’opposeraient à ce qu’on puisse continuer à raser nos forêts en rond.
Dans l’évolution célèbre des étapes du changement, telle que théorisée par Gandhi (« d’abord ils vous ignorent, ensuite ils rient, ensuite ils combattent, et enfin, vous gagnez »), nous sommes entrés dans le dur de l’évolution de notre rapport à la nature. Ce n’est plus un sujet périphérique. C’est devenu l’enjeu numéro 1 de ce siècle, et de notre espèce, et c’est une lutte acharnée qui se renforce, entre ceux qui continuent à accélérer encore un peu plus la destruction du vivant, et ceux qui se lèvent pour l’empêcher.
Pour l’historien Christophe Bonneuil, nous vivons une radicalisation de la guerre des mondes, entre Modernes et Terrestres. Le terme Terrestres provenant de la pensée du philosophe du vivant Bruno Latour.
Un rapport pour le moins tendu
Même si la forêt est notre matrice originelle, notre mère au sens symbolique, le lien avec elle hérite aujourd’hui d’une longue période de tension.
La forêt nous a donné la vie, mais c’était une « mère » aussi généreuse que dangereuse. Notre ADN d’hominidé est imprégné d’une peur de la nature sauvage issue des premiers âges où nos proches disparaissaient brusquement dans le ventre d’un animal.
Au-delà de cette peur ancestrale, il y a ce que François Terrasson théorise dans « La peur de la nature ». Dans cet ouvrage majeur de la pensée philosophique du rapport au vivant, il y décortique notre peur du sauvage en tant que peur de ce que nous ne contrôlons pas.
Or justement, notre besoin de contrôle est un des trois besoins fondamentaux dans notre construction de jeune humain (d’après notamment William Schutz, le père de la théorie Elément Humains). Il va même un cran plus loin : pour lui, la peur du sauvage à l’extérieur est le miroir de notre peur de ce que nous ne contrôlons pas en nous, la peur de nos ombres, de notre inconscient le plus « putride ». Nous rejetons cette peur sur la nature, qui s’exprime sous de nombreuses formes : rejet du féminin, de la nature sauvage des enfants, des feuilles dans la rue, des « mauvaises herbes », des sorcières, de la pluie, de la nudité, des émotions et enfin, de la vieillesse (nous mettons nos anciens dans des camps de concentration) puis de la mort qui est devenue taboue dans notre société occidentale.
Une relation qui se réinvente
La forêt est une manifestation assez marquée de cette nature sauvage. La vie et la mort s’y côtoient en une danse perpétuelle, surtout dans les forêts les moins touchées par l’humain.
Dans « Nature Primordiale », Bernard Boisson reprend la pensée de Terrasson et la développe sous l’angle du ressenti et de la poésie. Oui, nous pouvons aller rencontrer cette nature sauvage, et rencontrer toutes ces parts de nous qui restent tapies dans nos marécages intérieurs. Il y a de la beauté derrière. Et comme Bernard Boisson est aussi un magnifique photographe, il nous montre la beauté de l’humus, de la pourriture du bois, des vieilles souches en décomposition, dans « La forêt primordiale ». Pour lui, nous avons besoin de l’ailleurs que la forêt nous offre. Il cite « La forêt est un ailleurs sans refuge, le jardin est un refuge sans ailleurs ».
A l’heure où nous prenons de plus en plus conscience de notre condition humaine intimement liée à tout le vivant, à l’heure où, plus largement notre niveau de conscience augmente d’un cran, nous sommes de plus en plus prêts à oser nous (re)connaître nous-mêmes au cœur de ce que la nature a encore d’un peu sauvage à nous offrir - mais il ne reste plus grand-chose, car nous avons été efficace dans le matricide.
Suite et bibliographie dans L’évolution du lien entre les humains et la forêt / Partie 2
Par Serge Mang-Joubert
- Guide en sylvothérapie / facilitateur en forêt Voir la page de Serge Mang-Joubert
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