Dans une langue vivante et illustrée d’exemples étonnants, l'auteur nous fait partager sa longue expérience professionnelle enrichie par l’apport de résultats de recherches scientifiques.
Nous savons que les arbres sont utiles à la qualité de l’atmosphère que nous respirons, mais nous les imaginons statiques et prisonniers de leur immobilité. Nous les utilisons en coupes de bois ou en décoration, sans nous préoccuper de leur éventuel ressenti. Et voilà que, pas à pas, Peter Wohlleben nous emmène en forêt à la découverte d'un monde végétal qui vit intensément.
"La vie secrète des arbres. Ce qu’ils ressentent, comment ils communiquent."
Par Peter Wohlleben (trad. de l’allemand, ed. Les Arènes, 2017)
Un monde végétal qui sent et fait des choix.
Chaque arbre gère son alimentation de manière autonome. Pour cela, il analyse en détail son environnement et élabore une stratégie. Tronc, branches et feuilles sont capables de se modifier : lumière et eau doivent être captées en quantités suffisantes et, grâce à de minuscules fentes et canaux, tout l’arbre doit pouvoir respirer, des feuilles jusqu'aux racines. Pour sa survie, un arbre tourne ses feuilles, tord son tronc, s’élance ou se rabougrit.
Comme nous, un arbre a besoin d’un repos nocturne, car c’est le jour grâce à la photosynthèse qu’il achemine son énergie en sucres vers le tronc et les racines. Voilà qui interroge sur la santé des arbres de nos villes, exposés à la lumière artificielle.
Quand l'écosystème forestier est stable et garantit santé et bien-être, les arbres savent s’adapter aux changements qui les perturbent. Ils peuvent aussi réparer les dégâts causés par les catastrophes naturelles. Car ils gèrent soigneusement leur énergie et leurs forces ! Par exemple, ils comptent les jours au retour de la chaleur pour s'assurer que c'est bien la venue du printemps et non pas quelques jours de réchauffement avant une nouvelle vague de froid. Ainsi, ils ne bourgeonnent pas trop tôt.
Saviez-vous que les arbres sont capables de retenir une information ? Une chercheuse de la West Australian University l'a démontré en versant à intervalle régulier des gouttes d’eau sur des feuilles de Mimosa Pudica (qui ont la particularité de se refermer sur elles-mêmes au moindre contact). Les feuilles se fermaient immanquablement. Cependant, au bout d'un moment, la plante a compris qu’elle n’avait rien à craindre de l’eau, et elle a cessé de fermer ses feuilles.
On comprend mieux alors pourquoi ils changent de comportements quand ils le jugent nécessaire : comme nous, ils gardent les informations en mémoire de leurs expériences passées. Par exemple quand l'été précédent a été exceptionnellement sec, ils changent de mode de stockage d'eau à l'approche du nouvel été.
Un monde végétal qui fait des choix et s'adapte.
Tout cela n’est pas le fruit du hasard ou d’une détermination biologique immuable. L’équilibre interne et le potentiel de reproduction des arbres dépendent de réelles stratégies d’adaptation (ils font des choix, donc).
Comme ces variétés d’arbres qui migrent lentement : ils suivant les modifications environnementales, celles des conditions climatiques ou du sous-sol. Quand l'environnement ne convient plus, les nouvelles générations s'implantent plus loin avec l'aide du vent et des mulots qui transportent les graines vers le nord ou le sud suivant leurs besoins. Cela leur permet de survivre aux grandes variations climatiques (anciennes périodes glaciaires, réchauffement actuel).
Ou encore les stratégies de certains feuillus : ils se protègent des hardes de sangliers qui anéantissent leurs productions de glands et de jeunes pousses. Comment ? En ne produisant fleurs et fruits qu’un an sur deux ils limitent la population des prédateurs ! Surprenant.
Ou bien, dans un dernier sursaut avant sa mort prochaine, voilà un arbre qui garantit sa dernière progéniture en lançant une surabondance de fleurs ou de fruits… On peut d’ailleurs se demander si un arbre meurt, lorsque l’on regarde les rejets qui surgissent autour d’un tronc coupé… Dans une antique forêt du Danemark, les rejets d’un épicéa datés au carbone 14 ont révélé l’âge vénérable de 9 550 ans… qui dit mieux ?
Un monde végetal qui communique
Autonomes pour leur alimentation, les arbres ne peuvent cependant pas vivre isolés -seules quelques espèces sont solitaires et ont une longévité moindre. Les autres ont une vie communautaire. Ils entretiennent des relations. Ils communiquent. Ils envoient vers l’extérieur ou vers leurs congénères des messages très variés : olfactifs, visuels, chimiques, ou même électriques. Ils sont capables de distinguer leurs racines de celles des espèces différentes.
Ajoutons à cela le travail de transmission effectué par la ramification de milliards de champignons. Soupçonnons-nous qu’une cuillère à café de terre forestière en contient plusieurs kilomètres de filaments ? Les champignons seraient d’après l’auteur « l’internet de la forêt », car ils émettent des substances qui favorisent la communication. En symbiose avec les champignons, les racines des arbres émettent non seulement des signaux chimiques mais aussi des signaux électriques. C'est ainsi qu'elles évitent les obstacles du sous-sol.
Certains chercheurs formulent l’hypothèse d’un fonctionnement de type cérébral : un cerveau dans les racines, qui présentent aussi des structures et des molécules semblables à celles des animaux. Voilà remise en question la division traditionnellement admise entre règne animal et règne végétal !
Et la conscience végétale ? On ne sait pas encore.
Mais que se disent donc les arbres ?
Quels types et quel volume d'informations échangent-ils ? Nous sommes loin d'avoir capté tous leurs secrets ! Pour nous ils sont silencieux et immobiles. Nos yeux, nos narines et nos oreilles ne captent pas les complexités de leurs élaborations subtiles. Seul un pan de leur vie secrète s'est révélée à nous : la recherche en est à ses débuts sur le sujet.
Les forêts ont une véritable structure sociale. Ils vivent en famille, et cette famille peut prendre la taille d'une forêt. Conscients de leur interdépendance, les arbres prennent soin les uns des autres car chacun est utile à la communauté. Ils ont toutefois leur caractère : chaque espèce a ses particularités (communautaire, solitaire, ou compétitive et agressive). Et au sein d'un même groupe, les individus aussi : le choix du moment pour lâcher son feuillage à l'arrivée de l'hiver est propre à chacun (profiter d'absorber la lumière au maximum, ou s'effeuiller au plus vite pour ne pas prendre le risque de nourrir inutilement des feuilles -avec le froid on ne peut plus s'effeuiller).
Au sein d’une même espèce, ils s’entraident. Ils travaillent en équipe. Racines, feuilles et écorces fonctionnent en véritable réseau d’alerte. Ils s’annoncent des agressions de ravageurs et se préparent à s’en défendre (ils peuvent se débarrasser seuls des agresseurs). S'ils sont déjà atteints, ils s'aident mutuellement et se réparent. S'échangeraient-ils aussi des bonnes nouvelles ?
Ils organisent la solidarité. Les arbres qui ont le plus de sucre le partagent avec les autres pour équilibrer les ressources dans le groupe. Cela favorise le bon vieillissement de la forêt en évitant qu'un arbre meurt et fragilise la forêt en y laissant un trou.
Ainsi, dans la forêt primaire de hêtres dont il s'occupe, vieille de 4000 ans, Peter Wohlleben a observé que les arbres se synchronisent par le sol et les racines. Ils compensent leurs faiblesses et forces mutuelles, et chaque individu se développe au mieux selon sa place dans la forêt et les nutriments auxquels il a accès.
Ils montrent des préférences relationnelles. Une mère reconnaît ses enfants par le bout des racines et elle les nourrit en les allaitant : elle leur donne une substance nutritive par ces mêmes racines. Une souche ou un arbre malade est alimenté et gardé vivant par ses amis proches. Mais tous, arbres faibles ou enfants, ne bénéficient pas de la même aide, il y a des relations favorites !
Il existe aussi de rares « amoureux » : ils poussent côte à côte en veillant à croître sans se déranger, et quand l'un meurt, le second meurt dans l'année qui suit.
Ils ont des stratégies éducatives prévoyantes. Un arbre a besoin de temps pour grandir. Les arbres plus âgés privent les jeunes de lumière, provoquant chez eux une croissance lente, avec un tronc bien rectiligne. Ils leur donnent une chance de vivre plus longtemps : quand un arbre croît lentement, ses cellules renferment moins d’air et il résiste mieux aux aléas de l'existence (vents, maladies). Et tant pis pour ceux qui passent outre et se contorsionnent pour avoir accès à la lumière. Ils risquent déchirure et déséquilibre à l'âge adulte.
Lorsqu'avec les meilleures intentions du monde, on veut aider un arbre à s’épanouir en coupant ses voisins, on l’isole, et on le rend vulnérable.
Pour toutes ces raisons, éclaircir une forêt est une très mauvaise habitude. Les forêts les plus denses sont les plus sûres et productives. En ville, les arbres sont livrés à eux-même et fragilisés.
En réalité toutes les espèces végétales sauvages communiquent et seule la terre agricole est « silencieuse », nous dit Peter Wohlleben … Quel choc !
Domaine de la lenteur et de la discrétion,
les forêts prennent du temps pour réagir aux modifications de l’environnement. Et l’humain, qui vit dans la rapidité, ne perçoit pas leur activité. Peter Wohlleben propose de substituer aux notions de monde végétal/monde animal celles d’organismes lents (végétaux) et d’organismes rapides (animaux). Car pendant que les arbres migrent lentement et font évoluer nos paysages, l'exploitation forestière humaine et les tempêtes déstabilisent cet écosystème naturel.
Par exemple, la forêt aspire le CO2. Nos rejets de CO2 dans l’atmosphère augmentant, la croissance des jeunes arbres accélère : or, les arbres ont besoin de prendre leur temps pour grandir forts et vivre vieux. Les forêts d'arbres jeunes sont plus vulnérables. Et de récentes recherches scientifiques montrent que plus les arbres sont vieux, mieux ils participent à la lutte contre le réchauffement climatique car ils sont plus performants.
L'écosystème général se base sur un processus très lent. Nous sommes en train de le perdre de manière irréversible. Un autre exemple : les arbres morts -disparus de nos forêts- sont très utiles à l'écosystème. Quand les arbres meurent, ils continuent de distribuer des nutriments aux plus jeunes, avec l'aide des larves d’insectes et des champignons. Et avec le temps, ils transforment et enrichissent le sol et le sous-sol : les gisements actuels de charbon fossile viennent de la transformation de végétaux morts il y a plus de 300 millions d’années ! Aujourd’hui, la formation de charbon a quasiment disparu.
Nous maltraitons les arbres.
Pourtant, nous avons un besoin vital d'eux. Agissant sur le sous-sol et sur l’atmosphère, les arbres régulent le climat et irriguent les sols, filtrent et assainissent l’air, et offrent refuge et nourriture à une multitude d’espèces végétales comme animales.
Respectons cette société végétale, ne serait-ce que pour les bienfaits qu’elle nous procure.
Intéressant : les mesures comparatives des effets physiologiques d’une marche en ville et d’une marche en forêt penchent clairement en faveur de la marche en forêt. Mieux, ces bienfaits sont encore supérieurs lorsque l’on marche dans un bois dont les arbres échangent des signaux de bien-être !
Que de leçons à tirer de cet ouvrage ! Il révolutionne littéralement notre vision du monde !
"Il n'y a pas la nature et nous. Nous sommes la nature". Peter Wohlleben.
Laissez un commentaire