L’ÉVOLUTION DU LIEN ENTRE LES HUMAINS ET LA FORÊT / PARTIE 2

L’évolution du lien entre les humains et la forêt / Partie 2
Serge Mang-Joubert / Entre les arbres
Lire L’évolution du lien entre les humains et la forêt / Partie 1

Quels chemins pour réconcilier l'humain avec sa propre nature ?


L’émergence de la sylvothérapie est un chemin parmi de nombreuses autres initiatives qui fleurissent, toutes avec la même intention : réconcilier l’humain avec les autres vivants, et par là même, réconcilier l’humain avec sa propre nature vivante.

Un de ces chemins est celui de l’écopsychologie


C'est une philosophie née de celle de l’écologie profonde, dans les années 80 aux Etats-Unis.
Joana Macy a théorisé comment les humains s’étaient petit à petit coupés de la nature, et a mis en évidence que c’était la raison principale de la crise écologique, géopolitique (c’était encore la guerre froide, avec un risque nucléaire qui durait depuis 40 ans) et sociale. Sans encore évoquer le terme d’effondrement, elle a hautement contribué à faire le lien entre tous les dérèglements déjà constatés à l’époque, et à l’aspect systémique de ces dérèglements.
A partir de ces théories, elle a mis en place un travail concret, pratique, visant à faciliter ce qu’elle a appelé le « Changement de Cap », et que nous appellerions aujourd’hui la Transition.

Il s’agit du Travail Qui Relie


C’est un travail profond, personnel, intime, qui vise à faire remonter à la surface et à traverser les émotions difficiles liés à ce que nous pouvons appeler aujourd’hui l’hypothèse d’un effondrement, et à toucher sa zone d’impuissance. Une fois parvenus collectivement au bas de ce « U », le Travail Qui Relie propose ensuite des processus puissants pour remonter et retrouver sa zone de capacité d’action, par le lien reconstruit entre tous les vivants, à commencer par tous les humains qui se soucient de l’état du monde, et qui forment une communauté d’action et de conscience, sans cesse croissante.
Il va sans dire que dans ce travail, la forêt y a une place de choix, à la fois en creux : deuils à faire liés à la déforestation et à l’effondrement des biotopes forestiers et des espèces qui y vivent (vivaient) et en plein : comment la forêt nous donne la force de nous remettre de debout et d’agir pour préserver ce qui existe encore.

La sylvothérapie permet une guérison dans les deux sens


Pour en revenir à la sylvothérapie, à l’aune de cette mise en perspective, il est important de prendre conscience que cette nouvelle pratique apporte plus que du bien être en forêt et une reconnexion à soi. Même si ce dernier apport est déjà, en lui-même, très important.
La sylvothérapie permet aux participants immergés en forêt de re-considérer la forêt comme un sujet et non plus comme un objet, un décor, voire une carrière dans laquelle on puiserait indéfiniment des ressources pour notre mode de vie prédateur. Cousteau disait qu’on ne peut protéger que ce que l’on connaît. Connaître est à comprendre dans son sens le plus profond. Le participant qui revient d’un bain de forêt a eu, à au moins un moment, l’espace pour sentir en lui et dire à la forêt « je te vois ». Je te reconnais. Quand on a vécu une telle interaction, on ne peut plus rester indifférent à un abattage d’arbre, ou à une coupe rase. Encore moins à une déforestation massive. Le participant ressort avec de la guérison, car il s’est reconnecté à une part de son essence, et la forêt en bénéficie, car un peu plus de conscience humaine va diffuser et c’est autant de forêt en plus qui sera préservée.

Prospective


Et demain ? Comment, au-delà de la prise en compte de l’intelligence des plantes, au-delà de la sylvothérapie, de la permaculture ou de l’éco-psychologie, la relation des humains avec la forêt va-t-elle évoluer ? Ou plus largement, celle qu’entretien avec la nature Homo Modernicus, ce « moderne » en train de faire un burn-out, qui rationalise tout et qui, paradoxalement, continue malgré tout de parler à son chien et même parfois à sa voiture !

Philippe Descola, anthropologue, a théorisé en détails les différentes façons ethnographiques d’être au monde (qu’on appelle les « ontologies »).
Il a identifié 4 grandes familles de cultures humaines en fonction de leur manière de considérer leur lien au vivant.
  • La première ontologie est le naturalisme, l’ontologie de la modernité occidentale, née au début de la « Renaissance ». C’est la seule qui a inventé le concept de nature, et c’est donc de fait la seule qui sépare, qui installe une dualité illusoire entre l’humain et la nature. C’est celle-là qui nous conduit à l’effondrement, et c’est celle-là qu’il convient d’urgence de questionner.

  • Les clés sont dans les trois autres ontologies, que nous ne détaillerons pas ici, mais qui sont bien résumées dans « Une autre fin du monde est Possible » (page 142) : l’animisme, le totémisme et l’analogie.

  • Par ces ontologies, qui sont entretenues par d’authentiques « Gardiens de la Terre » un peu partout dans le monde, et surtout chez les peuples dits « Premiers », nous pourrons réinventer notre rapport aux autres êtres, et construire une diplomatie inter-espèce pour construire de nouvelles alliances.

  • Les Indiens Kogi nous montrent cette voie depuis plusieurs décennies, et l’association Tchendukua se fait passeuse de leurs savoirs, savoir-faire et surtout savoir-être jusqu’à notre modernité déconnectée. Partout où les Kogi réintègrent leurs terres ancestrales, qui ont pu être rachetées par l’association, la vie prolifique revient en une dizaine d’années seulement, grâce à leur capacité à en prendre soin.

    Cette diplomatie inter-espèces émerge depuis quelques années, justement. Cela passe notamment par la reconnaissance d’un statut juridique à des entités non humaines, comme des rivières (Gange, Whanganui), des forêts ou des régions (la Terre Mère, en Bolivie). Même en France, un projet voit le jour, le Parlement de Loire, porté par le POLAU, Pôle des Arts Urbains à Tours, avec entre autres, LES penseurs de notre lien au vivant de notre temps : Philippe Descola et Bruno Latour eux-mêmes.

    Ces initiatives et ces évolutions ontologiques sont sans doute la clé de l’évolution de notre rapport à la nature, et donc en particulier aux forêts.
    La question de la temporalité reste totale : cette évolution sera-t-elle significative à temps ?

    Par Serge Mang-Joubert
    - Guide en sylvothérapie / facilitateur en forêt

    Sources


    • François Terrasson, « La Peur de la Nature »
    • William Schutz, « Elément Humain »
    • Bernard Boisson, « Nature primordiale » et « La forêt primordiale »
    • Joana Macy, « Ecopsychologie pratique et rituels pour la Terre »
    • Frans de Wall, « Sommes-nous trop « bêtes » pour comprendre l’intelligence des animaux »
    • Cabinet « Confluence », « Forêt et bois, nouvelles cibles des activistes écologistes ? »
    • Pour la Science, Hors Série « La révolution végétale, de la neurobiologie des plantes à la sylvothérapie », déc. 2018
    • Amos Cliffort, « Forest therapy Guide’s handbook »
    • Richard Powers, « L’arbre Monde » (roman construit sur des données scientifiques vérifiées)
    • Bruno Latour, « Nous n’avons jamais été modernes »
    • A. Escobar, « Sentir penser avec la Terre »
    • C. Bonneuil, « Eloge des mauvaises herbes »
    • P. Servigne, G. Chapelle, R. Stevens, « Une autre fin du Monde est Possible »
    • P. Descola, « Par-delà nature et culture »
    • V. Cabanes, « Un nouveau droit pour la Terre. Pour en finir avec l’écocide »
    • https://www.tchendukua.org/
    • https://www.valdeloire.org/Actualites/Articles/Tous/Pour-un-parlement-de-la-Loire
    • https://www.terrestres.org/2018/05/10/devenirs-terrestres/
    • Le documentaire « Gardiens de la Terre » (en anglais : « Down to earth »)
    • Cécile Faulhaber, documentaire « L’autre connexion »
    Voir la page de Serge Mang-Joubert

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    L'auteur

    Serge Mang-Joubert

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    Genre : Réflexion

    Tag : Blog développement de conscience

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